J’avais envie, pour ce nouveau numéro, de vous partager une approche qui me donne beaucoup d’espoir pour nous aider à nous approcher du conflit de façon constructive, plutôt que de le fuir.

Le conflit, une découverte brutale

Quand je suis entrée dans le monde du travail à 23 ans, ce qui m’a le plus frappée, c’est la place que prenaient les tensions interpersonnelles — au travail comme dans mes engagements bénévoles. Dans les projets de développement dont je m’occupais en Bolivie, les conditions  de vie terribles dans lesquelles vivaient les bénéficiaires et où travaillaient les professionnels exacerbaient la violence des rapports humains.

Je me souviens de ce sentiment d’impuissance, de « bricoler » au fil des rencontres et des lectures pour apprendre à survivre, à trouver un peu d’apaisement et des solutions viables pour tous. Idéaliste, moi ? Oui, toujours — mais de façon de plus en plus lucide et assumée.

Une vie collective pleine d’apprentissages

Il y a 7 ans, j’ai rejoint une coopérative d’habitation fondée sur la participation, l’écologie et le vivre-ensemble. Au début, c’était une lune de miel : je ne voyais que solidarité, convivialité, intelligence collective… Puis des difficultés sont arrivées. Gouvernance à repenser, décisions bloquées, démotivation… et bien sûr, les tensions et conflits.

Sous forme souvent de mails collectifs, les coups de gueule ne faisaient que soulager leur auteur. Restait ensuite le silence des uns, ou la colère des autres. Peu de vraies solutions.

Trouver des espaces d’écoute

Avec quelques voisines (eh oui, que des femmes ✨), nous avons ouvert un espace d’écoute inspiré de la Communication Non Violente. Nous aidions à clarifier les faits, distinguer jugements et interprétations, exprimer émotions et besoins… Ces moments amenaient souvent un vrai apaisement et de la clarté.

Mais très vite, certains nous demandaient d’aller plus loin : accompagner les discussions avec les personnes concernées. Et là, nous ne nous sentions pas compétentes : pas médiatrices, pas formées… avec souvent la boule au ventre rien que d’y penser.

La découverte des cercles restauratifs

C’est à ce moment-là que nous avons découvert l’expérience de Dominic Barter, qui a inventé les cercles restauratifs dans les favelas au Brésil avec les communautés elles-mêmes.

Le formateur Arnaud Durand nous a aidés à prendre conscience de nos réflexes face au conflit : attaque, fuite, manipulation, soumission… En l’absence d’un cadre clair, chacun retombe dans son mode automatique.

Une image nous a tous frappée :

« Quand on construit une maison, on prévoit une cuisine parce qu’on sait qu’on va manger. Eh bien, quand on crée une communauté, on sait qu’il y aura des conflits… donc on prévoit un espace adapté pour s’en occuper.»

Évident… mais on n’apprend pas vraiment ça à l’école !

Construire un système restauratif

Nous avons alors lancé un vrai travail collectif pour mettre en place un système restauratif au sein de l’association d’habitants. Son objectif : restaurer les liens quand ils sont abîmés, chercher ensemble des solutions, au lieu de désigner un coupable à punir.

Aujourd’hui, nous avons 4 outils :

  • ☕ le café réparateur
  • 👂 l’espace d’écoute
  • 🔄 les cercles restauratifs
  • 🤝 la médiation externe

Avoir inscrit cela dans nos statuts donne une vraie légitimité à ces processus. N’importe qui peut dire : « Attention, il y a un problème, prenons-en soin », et activer l’un de ces outils.

Zoom sur le cercle restauratif

Le cercle restauratif propose un protocole précis, qui permet de ralentir et de sécuriser la discussion, surtout quand plusieurs personnes sont impliquées.

Quelques ingrédients :

  • 🎤 Entretiens individuels en amont : offrir un espace d’empathie, clarifier le processus, recueillir le consentement.
  • 🔁 Pendant le cercle : écoute active en cercle (ABA) : A parle, B reformule, A confirme… puis on rend la parole au centre avant que quelqu’un d’autre la prenne. Au début, cela peut sembler artificiel, un peu agaçant même. Mais très vite, les effets sont bluffants : chacun se sent entendu, on arrête de préparer sa défense, et on comprend vraiment l’autre. Puis vient le « shift » : ce moment où l’autre cesse d’être perçu comme un adversaire, et reprend un visage humain. C’est alors qu’on peut brainstormer des solutions ensemble.
  • 📅 Un post-cercle : quelque temps plus tard, on se retrouve pour évaluer ensemble l’impact des solutions et accords décidés, ajuster si nécessaire, ou célébrer !

Traverser l’inconfort, créer de l’espoir

Oui, être invité à un cercle peut faire peur (une voisine en plaisantait : « se faire cercler, aïe aïe aïe » !). Mais l’expérience vécue montre que ce n’est pas un espace de jugement ni de punition.

Pour nous facilitatrices et facilitateurs, c’est un apprentissage permanent et nos maladresses de débutant nous font cheminer. Rien n’est parfait ni acquis, mais je crois profondément que le conflit destructeur n’est pas une fatalité. Nous pouvons apprendre à transformer ces épreuves en expériences de compréhension et de réparation.

Ces cercles, appliqués et adaptés ici pour notre coopérative, sont déjà utilisés ailleurs : dans une centaine d’écoles au Brésil, mais aussi dans des associations, des équipes de travail, ou des institutions qui cherchent à dépasser les logiques plus classiques, souvent punitives.  Et en tant que simple citoyen, nous pouvons aussi devenir à notre niveau des agents de pacification.

Pour aller plus loin

Si le sujet vous intrigue, voici quelques pistes pour nourrir votre curiosité :

  • 🎧 Dominic Barter raconte son parcours et ses expérimentations dans de nombreuses interviews (notamment sur Spotify, en anglais). Sa manière de décrire son cheminement est absolument passionnante.
  • 📄 Je partage volontiers les documents sur notre système restauratif, développé avec l’Association Les Funambules dans le cadre de la coopérative Équilibre à Meyrin. Ce sont des supports concrets et adaptables à d’autres contextes. Ecrivez-moi pour me les demander.
  • 🎬 Enfin, pour découvrir une autre facette de la justice restaurative, le film bouleversant « Je verrai toujours vos visages » de Jeanne Herry donne à voir la puissance des cercles de parole en milieu carcéral. Les cercles y sont différents de ceux que je décris ici, mais leur force de transformation est la même : remettre de l’humain là où il n’y avait plus que des rôles figés de victimes et de coupables.
  • Avec Arnaud Durand, je co-anime également une formation au Département de l’Instruction Publique à Genève intitulée « Réparer plutôt que punir : introduction aux cercles restauratifs dans ma classe ». 👉 https://outils.ge.ch/referentiel/formation/CatalogueDescription/PO-817.html

Et vous ?

Avez-vous déjà expérimenté des approches inspirantes de gestion des conflits ? J’aimerais beaucoup lire vos expériences et vos réflexions.

💌 Merci de m’avoir lue !