Comment un atelier chaotique m’a révélé l’importance de la disponibilité, de l’écoute et de l’intégrité dans l’accompagnement des jeunes (et pas qu’eux ! ).
C’est la rentrée ! 🍎
Je ne sais pas pour vous, mais je ressens à chaque rentrée un mélange d’élan et de vertige. Dans ces métiers qui accompagnent l’humain et où chaque intervention signifie danser avec l’énergie et les forces en présence, c’est toujours une gageure de reprendre. Je pense que les enseignants (et bien d’autres) verront ce que je veux dire. Un cheminement continuel de présence à soi et aux autres, une posture à affiner année après année. Et ce n’est pas toujours de tout repos !
Alors que je m’apprête à retrouver de nouvelles classes de jeunes en remobilisation scolaire pour des ateliers d’expression créative pour l’estime de soi (classes ô combien hétéroclites, mais toujours terriblement attachantes ❤️), me revient à l’esprit un échec qui a été riche d’enseignement. Je le relate en détail dans le chapitre « du karcher à la rencontre » de mon ouvrage « Se proclamer pour exister », paru à Chronique sociale, et j’avais envie de vous partager quelques pépites.
C’était il y a 7 ans, ma deuxième année dans ce domaine, oui, vraiment une expérience de karcher. Je me suis retrouvée dépassée par la vitalité éclatée de ce groupe qui n’avait pas du tout envie d’être là et qui avait su profiter de mes fragilités et de mes hésitations.
Pour un premier exercice d’autolouange, j’avais proposé une accroche sur la météo intérieure 🌦️ qui permet d’exprimer ses états du moment, quels qu’ils soient. Ça avait vite tourné à la foire, entre l’agitation extrême des uns et l’apathie des autres. Quand j’essayais d’accompagner l’un ou l’autre dans le développement de son texte, ça chahutait immédiatement derrière. L’exercice de faire un collage les avait encore plus éclatés, la production de l’un étant jetée à la poubelle par un autre, tandis qu’un troisième avait déplacé les tables pour pousser un de ses camarades tout en claironnant qu’il n’y a que l’argent d’important dans la vie… bref, je vous passe les détails !
Tout ce que je faisais avec la prof présente pour ramener un climat apaisé ne fonctionnait pas, et j’étais sortie de cet atelier complètement sonnée, avec un sentiment d’être absolument nulle et incapable… et j’avais compris qu’ils me faisaient vivre un état intérieur qui constitue une partie du fond de leur existence.
Lors du partage à l’oral des quelques textes produits malgré tout, un instant de grâce 🌸 s’était pourtant posé au milieu de cette tempête, lorsqu’Eliona avait pris la parole pour lire d’une toute petite voix à peine murmurée :
Je suis une fleur qui se fane petit à petit. Je pousserai à travers le béton, juste pour ça.
Soudain le silence s’était fait en une fraction de seconde. Stupéfaction. Elle a dit quoi ? C’était vraiment authentique, et leurs antennes l’avaient capté d’emblée. C’est ce qui avait nourri ma conviction que sous cette couche de provocation, ces jeunes étaient absolument capables d’écoute, d’empathie et de concentration 🌱. Il fallait juste que je trouve l’art et la manière.
Ton intégrité fera les 3 quarts du chemin (extrait de Se proclamer)
Quelques jours plus tard, je trouve enfin Marie Milis, ma formatrice, pour débriefer un instant au téléphone. Je suis dans le bus 🚍, heure de pointe, mais je n’en perds pas une miette. « Oui, ils t’ont fait vivre ce qu’eux subissent si régulièrement : l’humiliation, la violence. C’est le test, ils t’ont karchérisée. Et puis tant mieux que tu n’aies pas crié ou sanctionné Noah, tu serais directement rentrée dans la case d’encore une de ces adultes autoritaires… »
Ses mots me font du bien, je pleure doucement 😢, c’est bon que ça sorte. Elle m’encourage à y retourner, pas besoin forcément de revenir sur cet épisode ou alors avec humour pour créer de la complicité autour de l’échec. Un conseil s’imprime en lettres d’or ✨ : « Tu y vas, quoi qu’il arrive tu restes avec eux, ton intégrité va faire les trois quarts du chemin. Après l’atelier tu fais la liste de tes illusions perdues, tu pleures un bon coup si nécessaire. Et ce qui n’est pas négociable pour toi, tu en fais ton pilier. »
C’est ce que je me suis attelée à appliquer la semaine suivante lors d’un deuxième atelier, qui s’est incroyablement bien passé.
Ce que cet atelier « catastrophe » m’a appris
Avec le recul, je vois combien cet atelier chaotique a été précieux 💎. Il m’a décapée de mes automatismes et bousculée jusque dans ma conception même de ce que devait être ma mission. Jusqu’alors, une part de moi restait parasitée par l’inquiétude : « Est-ce que je fais bien mon travail ? Est-ce qu’ils vont écrire un beau texte ? ».
J’avais des attentes implicites sur le déroulement d’un atelier : dans quel ordre, avec quels échanges, et au minimum quels résultats tangibles. Bien sûr, j’étais déjà adaptable – survie oblige – mais toujours à l’intérieur d’un cadre intériorisé. Cet atelier a tout fait voler en éclats… « Pourtant j’avais si bien préparé ! », s’est d’abord révoltée la bonne élève en moi.
Ce que j’ai (re)découvert, c’est que la rencontre authentique ne naît pas d’une préparation parfaite, mais d’une disponibilité radicale à l’instant T. ⏳
À partir de ce jour, j’ai commencé à me décentrer de mon rôle, pour entrer dans l’atelier sans attente, entièrement curieuse de ce qui allait se jouer. Cette phrase d’autolouange, écrite la veille d’une autre rencontre, est devenue mon mantra durant des mois :
« Je suis esprit curieux, bleu comme le ciel. »
Être curieuse d’eux, quoi qu’ils expriment, car tout d’eux est langage. Peu à peu, j’ai développé une écoute « polyphonique » 🎶 : accompagner des rythmes différents, accueillir les conversations parallèles, naviguer souplement dans ces eaux multiples.
Aujourd’hui, je viens toujours avec ma proposition du jour… mais aussi avec mon sac de Mary Poppins 🎩 sous le bras. J’y glisse d’autres accroches espiègles pour répondre à l’inattendu, aux retardataires ou aux récalcitrants. Et, en ouvrant simplement le sac, de nouveaux tours apparaissent d’eux-mêmes.
Je garde mon cap : la rencontre 💫. Elle est là, vivante, parfois changeante comme la météo, parfois méconnaissable par rapport à ce que j’avais imaginé. Et c’est à cet endroit qu’a lieu le retournement : ces jeunes m’invitent à entrer dans l’école de la Vie.
🌦️ Résonances pour aujourd’hui
Alors que je me prépare à retrouver de nouvelles classes, je me rappelle :
✨que la densité de ma présence dans l’instant vaut toutes les préparations minutieuses,
✨que la rencontre se situe souvent à l’endroit où l’on ose être vulnérable,
✨que je n’aurai jamais fini d’apprendre, de me faire ébranler parfois, pour mieux m’ancrer et avancer plus solide à leurs côtés.
🙏 Et vous ?
Et vous, en cette rentrée, quel mot aimeriez-vous garder comme boussole intérieure ? Quel serait votre « bleu curieux » pour aborder les mois à venir ?